L'Alsace doit-elle sortir du Grand est ?

HEIMET 241
L'Alsace doit-elle sortir du Grand est ?

Au regard du thème central de ce numéro, il convenait d’évoquer la question centrale de la transmission
aux plus jeunes d’entre nous de la culture alsacienne, la langue en étant naturellement le noyau, la
substantifique moelle (die Sprache ist der Kern unserer Identität ).
Néanmoins, une envie irrésistible me poussait à évoquer l’actualité politique de cette fin de mois de
décembre. Cette envie de traiter de l’actualité politique me semblait justifiée par les enjeux et les questions
qu’implique le cadeau de Noël aux Alsaciens du Président Bierry. Cette information est politique au sens
noble et étymologique du terme qui renvoie à la polis grecque désignant la communauté des citoyens.
De quoi s’agit-il ?
Le président Bierry a annoncé la tenue d’une large consultation des Alsaciens sur l’avenir institutionnel,
de leur région. La question posée est la suivante : l’Alsace doit-elle sortir de la région Grand-Est ? Si ce
sujet a une résonance particulière au sein de la population alsacienne, qu’il permet de mobiliser largement
contre l’existence d’une région Grand-Est jugée trop vaste, cette opposition à un cadre institutionnel
paraissant inadapté à la mise en œuvre de politiques publiques efficaces et adaptées aux caractéristiques de
notre région, ne constitue pourtant pas un projet. Il convient de s’arrêter sur l’étymologie du mot projet qui
signifie « jeter en avant », se projeter, et évoque donc l’avenir.
A l'ivresse de la victoire pourrait succéder une désillusion des plus funestes. Nous nous imaginons, un
peu à la manière des théoriciens d’une fin de l’Histoire, que lorsque nous aurons obtenu de haute lutte la
résurrection d’une région Alsace, nous pourrons vivre alors en sybarites dans notre Schlaraffenland retrouvé.
En réalité, si la recréation d’une région Alsace est la condition sine qua non de la mise en œuvre de
politiques adaptées aux caractéristiques propres à notre région, elle ne saurait constituer qu’une première
étape dans le projet d’un épanouissement (Entfaltung) de la personnalité alsacienne.
Prenons l’exemple du droit local, si cher aux Alsaciens. La résurrection d’une région Alsace (qui serait
en réalité une collectivité disposant des compétences d’un département et d’une région) ne modifierait en
rien le sort du droit local qui paraît condamné à l’étiolement si rien ne change. Il faudrait que les élus d’une
collectivité alsacienne revendiquent la compétence de modification du droit local.

A l’heure actuelle, le droit local est un droit national d'application territoriale, c'est à dire que toute
modification le concernant est décidée par le Parlement. Dans une perspective visant à développer des
politiques épousant le caractère alsacien, ce serait une revendication de la plus haute importance, d'autant
que le droit n’est jamais qu’un instrument qu’il conviendra de manier avec ambition pour s’acheminer vers
une vraie territorialisation du droit visant à répondre de manière spécifique à des problématiques
spécifiques.
Je souhaite évoquer ici un autre exemple de choix politique, renvoyant au contenu d’une ligne politique,
qui pourrait être menée dans le cadre d’une institution puissante épousant les contours de notre région.
L’Alsace est une terre où l'engagement associatif et le don de soi possèdent une valeur particulière. Si
l’Alsace devenait une collectivité associant les compétences sociales du département et économiques de la
région, elle pourrait développer une politique ambitieuse dans l’esprit de celle qui avait été proposée il y a
quelques années, visant à faire participer les bénéficiaires de prestations sociale sà des activités associatives
aux fins de contribuer à leur réinsertion et à l'intérêt général. Au delà des problèmes juridiques qui
pourraient être soulevés par une telle politique, il serait judicieux de lancer des pistes afin de refaire de
l’Alsace une terre qui marie si bien labeur et solidarité, dans l'esprit coopératif qui a présidé à la naissance
du Crédit Mutuel (Raiffeisenkassen). Si les compétences confiées à une institution et le périmètre de celle-ci
sont d’une importance cardinale, la volonté politique revêt une importance encore plus décisive.
Si nous sommes collectivement désireux de sauver la langue régionale, suffira-t-il de créer au sein de la
nouvelle institution régionale un service dédié à la promotion de cette langue ou conviendra-t-il d’opérer un
changement complet de paradigme en estimant que le sauvetage de notre langue est une mission dont
l’importance égale les missions sociales et économiques ? Les arguments mis en avant par le Président
Bierry dans l’interview qu’il a donnée au Figaro du 21 décembre 2021 témoignent d’une vision étriquée du
politique qui se confond avec une vision managériale tenant plus à la gouvernance qu’au gouvernement.
Personne ne sera contre l'argument d’une plus grande “ efficacité de l’action publique “. Mais au-delà de
cette formule hermétique pour qui n’a pas usé ses fonds de culottes sur les bancs de Sciences po, qui peut
réellement prétendre que faire valoir cet argument servira à fédérer largement autour d’un projet ? C’est
comme prétendre qu’on peut tomber amoureux d’un taux de croissance et, partant, fonder un projet politique
sur de telles considérations.
In fine, lorsque le Président Bierry évoque une réinvention nécessaire des outils démocratiques, il me
semble dangereux de qualifier de démocratique une consultation qui n’a aucune portée contraignante au plan
juridique.
La démocratie n’implique-t-elle pas la responsabilité des décideurs devant les personnes qui leur ont
donné mandat ?
Qu'adviendra-t-il si une écrasante majorité se prononce en faveur d’une sortie de la région Grand Est et
que ce désir n'est pas suivi d’effet ? La démocratie perdrait de son lustre et sa définition serait vidée de sa
substance. Le lien entre gouvernants et gouvernés se distendrait encore davantage.
En définitive, je voudrais dire que cette consultation est une occasion unique de s'exprimer sur la
question institutionnelle qui est d'une importance décisive mais à laquelle il ne faut pas oublier de coupler la
question du contenu des politiques menées. Le contenu de ces politiques garantira, ou non, la pérennité de
l'âme alsacienne qu’il convient de léguer aux générations futures.
        Jean FAIVRE

Ànstàtt in jedere historische Region e gewesseni Freiheit ze ewergann durich e Subsidiaritätsgrùndgsetz, hät d
Regierùng einfàch ‘s Lànd in 13 Regione ingeteilt. S Vollig het züe dere Reform ewerhäupt kenn Meinùng därfe
wähle. So müess ùnsere demokràtisch Sìnn liide.
Im Elsàss ìsch ‘s àllewill noch e güeti Mehrheit, wü nichs von dem Grand-Est wìsse wìll. Ùnser Erbgüet, ùnseri
Sproch ùn ùnseri Gschìcht sìnn e soo àbàrt ; ùnseri Wìrtschàft äu, ìsch d Einzigscht wü ìwer de Rhin stràhlt.
Nàtierlig versüfft ùnseri Ejeschàft in dem grosse Flacke ùn Frankrich hät ken Vorteil ze hoffe àn dem, wàs mìr
salbscht verliere.
De Präsidant von de europäische Gebietskörperschaft (Collectivité Européenne d’Alsace) Frédéric Bierry rieft
ùns àlli ùff, dàss m’r ùnseri Meinùng effendlich üssprache. Doch kùmmt ‘s nìt nùr ùff e Prozentsàtz von Elsasser
àn, wü im Elsàss e gewesseni Autonomie verlànge. E jeder müess sìch instelle, dàss sìch ‘s Resültàt von dem
Fröjeprozess äu in de Lawestàtsàch entwìckelt : Sproch, Vereinslawe, Erbgüet, Lawesàrt, usw.
D Màcht ‘s Elsàss wìeder àls Region ze bìlde hät nùr de Stààt, ùn de Grand-Est hät sìch in e gepolschterter
Sassel gsetzt... De Kàmpf geht widderschd, e jeder müess mìtmàche.

Suite de l'article dans la revue Heimet 241


Date de création : 18/12/2022 21:55
Catégorie : Meinùnge / Opinion - Jean FAIVRE
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